On est quel jour ? #19
Branle-bas de combat à la Bourbonne : il y aurait des voleurs dans l'établissement qui se servent dans les chambres !
"Si je le choppe, je l'écrase avec mon fauteuil roulant et je lui mets les doigts dans les yeux" déclarait une victime.
J'imagine la scène car la victime n'a plus de jambes, mais reste féroce, visiblement !
Alors, on morfle déjà pas mal avec nos douleurs, si en plus on se fait piquer nos maigres subsides, on s'en sort plus !
De cette histoire, on ne s'en branle pas !
J'ai donc décidé de ranger ma chambre. Planquer mes 2 trucs de valeur dont mon porte feuille où il y avait encore 15 euros...
Marseille - Juillet 2024 (histoire vraie)
Allez donc savoir pourquoi, dans ce petit jardin de l’hôpital, je décidais de m’asseoir sur ce banc, aux côtés de cet homme que je n’avais jamais vu.
Nous étions là, tous les deux, à l’ombre de l’imposant bâtiment des Urgences de l’hôpital de la Timone à Marseille, avec son ballet de véhicules de secours, sirènes hurlantes, sans parler de l’hélicoptère jaune qui décolle ou se pose (trop) souvent à mon gout.
Au milieu de ce "manège" incessant de sirènes non venues de la mer voisine, je décide d’attendre que l’on vienne me chercher. D’ailleurs, à l’hôpital on attend toujours, le patient doit être patient, c’est sa première qualité.
Sur ce banc, moi, patient, je n’ai rien dit à cet inconnu assis à côté de moi. Je me suis contenté d’un simple « bonjour » savamment murmuré, venu du plus profond de moi même.
Car, depuis que je connais « le dedans de moi-même » ça va mieux ! Effectivement, après une scintigraphie suivi d’un scanner qui est allé si loin, j’ai pu découvrir mon moi intérieur, au sens propre du terme, jusqu’au squelette. Oui j'ai vu mon squelette !
Désormais dans mon "for intérieur" je n’ai plus de secret.
Du moins c’est ce que je croyais.
Nous étions deux. Deux hommes : Ahmed et moi même.
Ahmed, qui, lui, s’était présenté avant moi, avait l’air triste, les larmes aux yeux, la voix chevrotante et quelques perles de sueur sur son front.
Sous cette chaleur estivale, ce grand gaillard craquait dans tous les sens. Il m’adresse alors la parole : « Vous voulez mon sandwich, je ne l’ai pas touché, moi... je ne peux pas manger... car ma mère est... décédée il y a dix minutes ».
On ne se connaissait pas encore il y a dix minutes. Si j’étais arrivé 15 mn avant, peut-être aurait-elle été encore en vie ?
Je me suis senti alors, comme beaucoup l’aurait fait, le devoir de l’écouter et lui parler, car j’ai aussi vécu cette douloureuse expérience dans d’autres circonstances.
Très vite la discussion passe du souvenir, aux conditions d’inhumation, aux papiers administratifs, au Maroc, son pays natal, à l’argent et l’héritage. Toutes ces pensées (non pensées) qui traversent chacun d’entre nous dans ce type de moment très particulier.
On ne perd qu’une seule fois sa maman.
Tout y passe en quelques minutes : sa soeur, ses enfants, sa femme qui a un cancer, ses vacances annulées, l’héritage dont la soeur s’est déjà positionnée.
Je tente de lui répondre avec des mots "utiles" mais finalement j'utilise des phrases toutes faites dans un tel contexte (on l’a tous fait) : « gardez les meilleurs souvenirs » « ne mélangez pas tout » « le temps vous aidera » et "l’on vous aidera aussi à surmonter cette épreuve."
« Mais je me fous de l’argent ! » me lance-t-il tout à coup et spontanément. « Quoi ? » me dis-je.
L’entrepreneur que je suis ne peut naturellement laisser dire ça. On ne se fout pas de l’argent, surtout quand on en n’a pas ! Je lui explique alors que mon statut d’assimilé/salarié et patient en arrêt maladie.
La sécurité sociale estime, après l'avoir payé personnellement durant de longues années en charges patronales et sociales, que je ne pouvais pas bénéficier d’indemnités liées à mon arrêt de travail. Circulez y a rien à voir.
Ma hanche va-t-elle me « tuer ?»
C’est vrai, je viens de passer 14 jours en un mois à l’IHU de Marseille, mais pour la sécurité sociale : rien « la shi » pour reprendre la langue natale d’ Ahmed, qui, aussitôt me glisse, sans pouvoir même réagir, 15 euros dans la poche de mon short.
Refusant d’accepter cet argent, il hausse le ton me disant : « Toi, tu as été gentil, tu me fais plaisir d'accepter cet argent, tu en as besoin. Toi, tu as le pris le temps de m’écouter et de me parler... et ça, ça n’a pas de prix ».
Et vlan ! c'est une gifle - virtuelle - pour moi.
Écouter et Parler, c'est gratuit non ? (pas pour certains députés...)
Ahmed est ensuite retourné à l’hôpital pour retrouver sa défunte Maman, moi je suis resté figé sur mon banc, à l’ombre.
Je me suis questionné sur cette séquence : Pourquoi le hasard m’a-t-il conduit à m’asseoir sur ce banc à côté d’Ahmed ?
Pourquoi ai-je pris le temps d’écouter et de parler avec lui, alors que ma mission première, sur ce banc public, était de terminer le dernier Joël Diker : « Un animal sauvage. »
Finalement je n’aurais lu aucune ligne. Je serais resté sauvagement concentré sur moi-même, comme un animal en détresse.
Si ma jambe gauche est toujours en sale état, ma tête fonctionne toujours. Elle n’arrête pas de cogiter, de se poser des questions existentielles... mais elle reconnait que cette "pause" inimaginable avec Ahmed est devenue un grand moment dans ma vie.
D'où cette question qui me taraude depuis des années : "le hasard existe-il ?" Ou "devais-je vivre cette expérience avec Ahmed pour apprendre. C'était prévu dans mon existence."
Je reviendrai sur le hasard, car je n'y crois pas. Alors pourquoi suis-je toujours l'hôpital aujourd'hui ? Ce que j'ai chopé, m'est tombé dessus... par hasard ?
J'aurai aussi compris de cette expérience, que l'écoute, l'échange, la gentillesse et le respect du dialogue n’ont pas de prix !
Tient ! Ahmed venait de me dire la même chose quelques minutes auparavant.
Je constate enfin, avec ces 15 euros glissés dans ma poche, qu’être un entrepreneur indépendant dans ce pays ne coute rien à la société. Il gagne uniquement le fruit de son travail, mais quand la vie s’arrête momentanément : il ne gagne plus rien.
Les 15 euros d'Ahmed ont donc été mon seul revenu du mois de juillet. C'est très marquant pour moi.
J'ai appris aussi, que mon coeur (et mon esprit) avait compris que TOUT a du sens dans notre existence. Il suffit de regarder autour de soi. Ahmed m’a éclairé. Notre discussion avait du sens (pour moi) et peut-être pour lui aussi. À priori oui, puisque nous nous sommes revus plus tard.
C'est curieux, jamais je me suis senti autant utile, avec rien.
J’aime souvent me rappeler cette petite phrase :
« Vous êtes un enfant de l’univers ; pas moins que les arbres et les étoiles, vous avez le droit d’être ici »
Extrait d’un texte, dont l’auteur est inconnu, retrouvé en 1692 dans une église de Baltimore.
Avoir le droit d’être ici ? Question que quelqu'un s’est posée il y a 332 ans.
En bon François : "ja" (maintenant) suspicionneux (suspicieux) il se demanda pourtant avec labite (peine ou tourment) quel est le meuf (la raison) pour laquelle il était là ?
C'est vrai : Pourquoi être ici ?
Pour être utile, tout simplement.
Au fait, je n'ai toujours pas dépensé ces 15 euros.
*Ahmed n'est pas son vrai prénom.
Isabelle Musnik
oui, nous sommes tous touchés en lisant ces textes. merci de nous faire réfléchir. je suis aussi, pleine d 'admiration pour ton courage et ton talent. Toute mon amitié
Isabelle Philippot
Un plaisir de te lire !
Bon courage
Susanne Attia
Merci encore une fois Michel. Oui on pleure on rit on réfléchit et on se dit j‘ai finalement de la chance
Toi ça va aller mieux. Si on met tous en commun nos bonnes ondes et pensées positives
Nathalie Repa Ragain
Coucou Michel
Sandrine a très justement évoqué ce que l’on ressent (j’écris « on » parce que nous ne sommes pas les seules) à te lire.
Prends soin de toi
Et n’oublie jamais que le positif attire le positif. D’où cette rencontre improbable ?
Isa Picot
J'adore