On est quel jour ? #7
Kestudi ? Après avoir dompté ma petite voix intérieure, je me suis passionné ce jour, pour les propos tenus par mes nouveaux amis. Attention, il faut suivre leur raisonnement… Ce n’est pas toujours très clair…
Ce matin, sur la terrasse avec vue sur le mont Garlaban, j’ai décidé de partir à l’écoute de vrais gens, avec ou sans jambe, peu importe et même si leurs propos sont loin du 5e art (la poésie) mais plus proche du Café de la Marine.
Miss Elixyr se souvient de la « guerre », dans les années 50/60 entre les salariés, leurs familles et les enfants des deux usines du village de 2000 habitants : Salin de Giraud.
Il y avait d’un coté Solvay (l’usine qui fabriquait de la chaux) et de l’autre Pechiney devenu aujourd’hui Les Salins du Midi.
« Il faut voir comme on se mettait dessus, peuchère » me dit-elle …
Et pourquoi cette « guerre » ?
« C’était comme ça ».
Pas tant que ça, car les Solvay dirigés par un grand patron du Nord avait fabriqué les « corons de Camargue » avec une qualité de vie bien supérieure à celle des Péchiney…
Quand...
Tout à coup, mon voisin de table parle fort au téléphone avec sa femme : « tu sais qu’ils ont voulu me faire manger au petit déjeuner du beurre chaud. Si je mange ça, j’ai la cagagne ».
Amis de la poésie : bonjour.
Non, nous ne sommes pas dans un asile... Mais Miss Elixyr a déjà oublié ce qu’elle disait concernant les deux usines maudites de son village, elle n’en garde pas de bons souvenirs. Mais vous vivez où aujourd’hui ? « À Salin de Giraud » me répond-elle. C’est bien la peine de dire du mal du village. Mais Miss se lance alors dans une discussion sur Dieu qu’elle a essayé d’appeler par téléphone. Ce dernier ne lui répondant pas, elle a décidé de ne plus croire en lui.
Perso, je commence à dérailler surtout lorsque j’entends une patiente dire : « le prix du kilo de champignons est 26 euros !». « Quoi ? » lui répond un double amputé, qui ajoute « à ce prix, on va aller les ramasser nous-mêmes les champignons ».
Et j’ai donc imaginé notre groupe d'estropiés, la plupart en fauteuil roulant, sans jambes et dans l’impossibilité de se baisser, pour ramasser des champignons. Ce serait le bouquet en forêt.
Miss Elixyr a encore changé de sujet en parlant toute seule de taureaux camarguais et des enfants qu’ils leur courent après, lors d’abrivado (lâcher de Toros dans les rues). « Et si le petit se fait encorner ? » dit-elle à haute voix. « Moi je n’ai jamais voulu avoir d’enfant » précise-t-elle sans raison, avant d’ajouter que de toute façon les femmes font beaucoup d’enfants pour toucher plus d’alloc.
Là je laisse la vieille dans son délire.
Elle va me rendre dingue.
Elle, elle allume une nouvelle cigarette.
Je me tourne vers Ben, 20 ans ou à peine plus. Le jeune homme n’a plus de jambe gauche après un accident. Il s’est fait amputé en dessous du genou, donc, il a gardé l’articulation d’origine, contrairement à son pote qui lui a été coupé plus haut et va en chier toute sa vie contrairement à Ben avec son articulation, et qui a toujours le sourire.
Il me demande :
- Qu’est-ce que tu as toi ?
Je lui explique mon cas de prothèse de hanche infectée et de ré-opération, et, en attendant je ne peux pas marcher avec ma jambe gauche toujours en réparation.
Il rebondit aussitôt en me demandant « Et tu te fais amputer quand ? » Je n’ai pas su quoi répondre, mais au fond de moi, toute la poésie marseillaise a rejailli : « vas niquer tes morts sur le vieux port » toi. (Il y a aussi une version avec ta mère sur la Canebière).
Mais le petit m'a fendu le coeur. Ce gamin devant moi n’avait pas compris que je ne sois pas amputé comme lui. Lui qui est rentré dans un nouveau monde où il peut prendre son pied et le mettre dans une valise.
Je ne lui en veux pas.
J’ai finalement de la chance dans mon malheur.
Mais là, c’est trop, je vais aller me recoucher.
Pourtant j’ai peur de mal dormir. La nuit dernière, un moustique (oui ils sont encore là) et venu pourrir mon sommeil et ma jambe m’a aussi fait terriblement mal et a pourri ma nuit … Pourquoi ce bobo ? "Non ce n'est pas la faute du moustique, c’est à cause de la pluie qui arrive ! » m’expliquént plusieurs patients de vives voix (oui ils étaient plusieurs à faire mon diagnostic).
Au levé du jour, il pleuvait effectivement.
Mon corps s’est transformé en station météo.
Finalement ai-je bien fait d’écouter les vrais gens ? La réponse est oui, même s’ils ne racontent souvent que des conneries, le lien social est d’utilité publique voire vital dans notre monde, et encore plus à l’hôpital.
Patients, entrepreneurs, femmes/hommes libres : je pense qu’il vaut mieux être - parfois - mal accompagné, que seul.
Pensez-y dans un mois c’est Noël. C’est quel jour d’ailleurs ?
Je vous laisse. Je vais téléphoner à Dieu. Peut-être me répondra-t-il ?
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