Je ne vous ai pas encore parlé de mes camarades de guerre pour une guérison rapide. Même si le mot « Rapide » n’est pas français dans cet établissement.
Voici donc mes nouveaux amis… Pour leur confidentialité et surtout pour ne pas faire peur aux enfants, une seule photo (de loin, en illustration) a été postée : celle de Miss Elixyr.
On est quel jour ? #5
Miss Elixyr n’a plus d’âge, mais une jambe en moins. Sa passion : fumer des cigarettes de marque Elixyr, les moins chères parait-il. Elle fume dès 7h du matin, clope sur clope, jusqu’au soir au moment de se coucher certainement. Miss Elixyr a fumé très jeune, puisqu’elle me racontait qu’à l’âge de 14 ans, lorsqu’elle n’avait plus de cigarettes, elle fumait de l’osier, en bâtonnet : « beurk c’était pas bon, ça rend dingue, mais on avait que ça ! »
Autre fumeur qui n’a jamais de clope ! M. Lobotomisé (c’est le surnom qu’on lui a donné). Il erre, sans parler, après son AVC, dans les couloirs de l’hôpital, nuit et jour.
Son « dada est d'aller dans les zones fumeurs, fouiller les cendriers, récupérer les mégots et les fumer ensuite. J’apprends que Lobotomisé n’a plus de droit de fumer.
Mais ici, tous les fumeurs fument, sinon c’est la bronca ! Et les jeunes qui n’ont plus de jambe ou de bras échangent bien la clope du soir avec une petite cigarette rigolote. Ce qui n'ont qu'un bras galère pour rouler, les rouleuses sont donc reines et Mimi, 48 ans, fortement esquinté par un AVC sur son fauteuil roulant électrique, tente, tout en tremblant fortement, de rouler un joint avec sa rouleuse. Mais pratiquement tout son shit tombe par terre à cause de sa tremblote infernale. Heureusement qu’il y a des bonnes âmes pour l’aider.
Autre pote AVC qui travaillait avant dans la presse ! Aujourd’hui plus de bras gauche, sur un fauteuil roulant, il se souvient, quand il peut, de son passé : « J’ai travaillé dans la presse » me dit-il.
Moi : "ah bon et tu étais où et tu faisais quoi ?"
Lui : « je travaillais à La Provence le week-end matin ».
Moi : « tu écrivais des articles alors... sur le week-end ? »
Lui : « non, je me levais tôt pour mettre le journal dans les boites aux lettres des abonnés ».
Oui, il a effectivement travaillé dans la presse.
Gégé a un pied broyé, mais sa journée commence que s’il vous serre la main, sinon il se sent mal. Dans sa grande splendeur, il déclare régulièrement : « si on ne se dit pas bonjour, on est mort, déjà, qu’on n'en est pas loin ». Il n’a pas tort finalement, Gégé qui, lorsqu’il en a marre d’être là, à la question : « ça va ? », il répond toujours « comme un lundi (ou autre) à la Bourbonne ».
Ah, je ne voudrais pas oublier « Jojo ». Cette sexagénaire s’est faite renversée par une moto en traversant une route. « Il (le pilote) m’est rentré dedans et a détruit tout mon ventre » précise-t-elle avec le sourire. « Et une fois au sol, après le choc, comment ça s'est passé ? » dis-je « Et bien un camion m’a écrasé le pied » me répond-elle. Quand ça veut pas, ça veut pas. 7 mois ici, et miracle : elle remarche super bien notre Miss Moto-Camion.
Deux autres amis de fortune : Polo, qui n’a plus de jambe. Le diabète est passé par là. Il ne dort pas la nuit (d’ailleurs la plupart d’entre eux se retrouvent en pleine nuit - 2 ou 3h du matin - sur la terrasse pour fumer) mais Polo dort partout, sur la terrasse, en cours de kiné... . En position de lotus , ce bouddha (oui, il est chauve) sans pied, s’exprime avec une voix roque et posée, comme un sage sans réel avenir. Polo, n’a plus de jambes, mais il clope, lui aussi, du matin au soir !
Pour finir, ,voici Fifi : le DJ municipal comme il aime se qualifier. Lui aussi a perdu une patte "mais c’est pas grave avec une prothèse : c’est reparti !" (Beaucoup - et surtout les jeunes- semblent persuadés qu’une jambe perdue = une prothèse retrouvée et la vie continue comme si de rien était !) DJ Municipal se déplace en fauteuil avec son enceinte portable et nous envoie sa musique dès le réveil vers 8H. Il n’arrête jamais et adore raconter comment il a fait venir des stars ( comme Emile & Images…) dans sa petite ville…
Tous sont là depuis des lustres, ils n’osent plus en parler, mais la plupart ont passé plus de 6 mois voire plus, ici.
6 mois de vie bloquée dans un corps souvent amputé et/ou fortement secoué.
Chaque matin, tous font semblant d’aller bien, mais se disent intérieurement : « encore une journée ici, elle ressemble à celle d’hier, et demain : ce sera la même chose !
Tous les jours se ressemblent : Comment voulez-vous ne pas perdre la notion du temps ?
L’idéal serait encore d’occuper son esprit à faire autre chose ? Mais parole de PMR : dès que je réfléchis (à part pour écrire mes humeurs ici) mon cerveau se concentre quelques minutes seulement, avant que la douleur et le quotidien routinier ne reprennent le dessus et coupent toute réflexion et imagination.
Renseignement pris : c’est pareil pour tout le monde !
Elle n’est pas formidable ma famille d’éclopés ?
À demain.
Peut-être
Portez-vous bien, il y a toujours pire ou mieux, ailleurs. Profitez.
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