On est quel jour ? #15
Le ton est grave aujourd'hui.
La décision est tombée…
Ma façon de gouverner mon corps et mes jambes avec une seule béquille pour marcher était illégitime.
Dans un autre pays que la Bourbonnie, j’aurais dû présenter ma démission au Président.
Ici ce n’est pas le cas.
Mais j’ai eu pourtant très chaud car le Docteur a tranché à la majorité, avec lui même.
Il m’a dit « Lève-toi et marche ! Mais avec DEUX béquilles, pas UNE » en attendant ta nouvelle prothèse.
L’actuelle étant provisoire pourrait casser. Il ne manquerait plus que ça.
« Janine » était le jolie surnom de ma première béquille jaune avec qui, j’ai marché seul. Elle avait retrouvé sa complice voire sa soeur jumelle « Janina »… Mais pour quelques jours seulement avec moi.
Car un nouveau drame s'est produit en Bourbonnie : Janine et Janina ont été kidnappées.
Introuvables, parties, volées… volatilisées…
Et me voilà seul ,durant quelques minutes en pleine salle de kiné où doit se trouver le coupable de ce rapt odieux.
Mais « un malheur n’arrive jamais seul » il peut aussi arriver avec un bonheur : de nouvelles béquilles toutes neuves, avec des poignées tip-top et anti-dérapantes, la rolls des béquilles.
C’est ce qui m’a été remis pour effacer cet affront.
Trop content d’être boiteux. Aujourd’hui !
Euh, là je m’égare… car maintenant les deux mains sont sollicitées, fini la main libre en marchant.
L’occasion de vous parler de la vie d’un homme marchant avec une seule béquille. Cette histoire ne relate pas ce que vivent tous les PMR et autres amputés, loin de là.
Chacun s’adapte, comme il peut, avec son handicap.
Mais c’est mon histoire de prothèse foireuse à la jambe gauche que je vais vous narrer : Tout sur ma canne ! Et désormais : Tout sur mes deux cannes.
Le planté de bâton
Petit rappel : on ne met jamais la béquille du même coté que la jambe blessée (ou coupée, broyée, éclatée, massacrée, niquée, détruite, écrasée ou incendiée… ).
Elle se place de l’autre coté. Pour moi qui ai la jambe gauche qui déraille, la béquille - seule - était donc du coté droit et mobilise naturellement ma main droite.
Avec deux béquilles, la question ne se pose plus. Vous n’avez plus de main libre, à moins, et c’est très rare, d’avoir trois mains.
Ma vie de boiteux
Vos nouvelles amies doivent dormir près de vous, car au lever la première question est « où est ma canne ? » sinon je ne peux pas me lever.
La pénitence commence alors.
Vous avez plus de mains disponibles, et votre petit déjeuner, si vous le préparez vous-même, se transforme en cauchemar, à moins de boire un café près de la cafetière, souvent débout et en trouvant de quoi s’appuyer afin de lâcher vos béquilles et libérer, au moins, une main pour saisir la tasse de café. Cela a été longtemps mon cas.
Reste ensuite la douche, une partie de plaisir à condition d’avoir une douche à l’italienne, sans bac.
Oubliez la baignoire, on ne peut pas l’enjamber. Pensez à demander une chambre PMR à l’hôtel.
S’habiller est aussi une plaie quotidienne. D’abord il faut s’assoir, c’est obligatoire. Ensuite il faut soulever la (ou les) jambes blessée.s. pour mettre slip et pantalon. Enfin, le pire reste mettre ses chaussettes lorsqu’on ne peut pas se plier.
Et puis, avant de quitter son logement, j’ai envie de pisser…
On en parle ?
Avec une seule béquille, Messieurs, pisser debout devient un exercice d’équilibriste qui risque de vous faire rater la cible.
Debout avec une seule béquille, on se penche sur le coté, involontairement, et même si vous avez votre « machin » bien en main, la première poussée pour pisser va vous déstabiliser légèrement et vous fera déraper. Et c’est qui, qui va râler ?
Avec deux béquilles, pas de choix, sauf si vous arrivez à vous maintenir droit sans faille, sinon c’est pipi assis.
Au fait, sur ce sujet chaud : savez-vous combien d’hommes pissent debout dans notre pays ? 19% (surtout des + de 55 ans) selon, nous dit-on, une enquête sérieuse, 19% des Français font toujours pipi assis contre 40% en Allemagne qui est n°1 du pipi assis. Nous sommes 6e selon cette étude.
Dans la littérature scientifique, il y aurait 11 études sérieuses sur la meilleure position pour uriner. Certains ont donc croisé des tonnes de données (ils ont dû se faire chier) pour conclure finalement que si vous êtes en bonne santé, la position n’a aucun influence.
Tout ça pour ça.
Mais … Mais ...
Un professeur d’ingénierie mécanique a inventé un faux urinoir pour analyser les éclaboussures et leurs conséquences hygiéniques. Et il nous apprend que le jet, lorsqu’il atteint entre 7 et 15 centimètres du bout du « tuyau masculin », le pipi commence à se transformer en gouttelettes qui éclaboussent un peu partout : on ne les voit pas, mais elles peuvent se déposer sur votre brosse à dents, si votre salle d’eau est petite !
Vous en aurez appris des choses, mais ne comptez pas sur moi pour vous parler de caca demain. C’est trop chiant.
Revenons à ma vie de merde en béquille dans la rue :
=> Impossible fumer en marchant (ce n’est pas plus mal)
=> Impossible de se gratter le nez, le front ou ce que vous voulez (sauf arrêt immédiat)
=> Impossible de prendre un parapluie (il n’y a plus de main disponible)
=> Impossible d’ouvrir une porte où l’on vous demande d’appuyer sur un bouton et en même temps pour pouvoir ouvrir
=> Impossible de faire ses courses, car comment transporter vos achats, ensuite ?
=> Très difficile d’aller retirer de l’argent (à moins de déposer vos cannes)
=> Très difficile de prendre les transports en commun peu adaptés à toute forme de handicap
=> Obligation de regarder au sol la hauteur d’un trottoir, mais, pour voir aussi la crotte de chien ou le rat mort
J’arrête là… Ça me déprime, mais c’est mon quotidien depuis 4 ans.
À l’opposé :
Je suis prioritaire pour prendre un taxi
Mais c’est tout. Je n’ai rien d’autre comme avantage.
Alors : passer ici quelques mois en Bourbonnie, pour remarcher un jour. Il ne fallait pas hésiter.
Ainsi va la vie…
Et dire qu’il y a des hommes qui ont marché sur la lune, et moi je n’arrive pas à faire 20m sur terre.
À demain.
Je m’en vais marcher seul à l’ombre.
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