On est quel jour ? #20
Cette salle est très obscure, seule une lumière tamisée projète quelques étoiles sur le plafond. Il y a aussi une musique zen que même un ascenseur ne voudrait pas.
Fort d’un courage insoupçonné, je pénètre dans cet antre ténébreux. Comment vais-je sortir de là ? Relax ? Ou énervé ?
Dans ces ténèbres gisent 5 femmes : 2 au sol, 3 sur un fauteuil, dont l’une dort déjà, à moins qu’elle n’ait défuntée dans cette salle, véritable athanée. Peuchère.
Et moi : suis-je à l’article de la mort en étant ici ? Vois-je la lumière blanche au fond du tunnel et non pas le bout du tunnel de cette guérison interminable ?
Il est 14H30, heure de la terre.
Je viens de pénétrer dans un monde parallèle.
Les femmes respirent (si elles ne dorment pas) sans parler et attendent leur sort (ou Satan).
Bienvenue dans la réunion « relaxation », chaudement recommandée par mon médecin, comme si je n’étais pas relax mais plutôt énervé. Ça se verrait BORDEL DE M….DE !!!!!!!!!!!! si j'étais énervé.
« Inspirez profondément, expirez longuement…
On recommence : inspirer expirer… Vous vous sentez bien, dans un lieu que vous aimez (pas ici, à l’hôpital)… Déteeeennnnnnnnndez-voooooouuuuuuuuus… »
Pendant sur temps, sur terre…
Madame marche avec sa prothèse soigneusement camouflée sous ses vêtements, mais elle fait un bruit de cheval à chaque pas. Un coup de sabot sur le sol produit par une jambe en fer sans doute mal réglée. Ça me fait rire. Désolé, je suis relax.
En salle de kiné, ce patient à qui l’on a dit : "vous pouvez marcher avec une seule canne"
Il se balade désormais avec son unique canne à la main, qu'il porte comme la flamme olympique et ne s’appuie aucunement sur elle. Mais on lui avait dit de marcher avec une canne… Il le fait. Ça me fait rire. Désolé, je suis relax.
Scènes de matage$
M. L’hirsute dont on ne comprend rien quand il parle, marmonne : « euhhhhhehhhhh tu passes 2 mois à l’hôpital Nord et tu deviens niaï (fou) là bas »….
M. Fifi : « T’avais pas besoin d’aller à l’hôpital Nord, tu es déjà assez fada comme ça. Ça a servi à rien »
Et il n’a pas tort car cet échevelé est un vrai con, trouvant la faute toujours chez les autres pour avoir raison lui même, et en plus il n’aime pas les Parisiens (il en est encore aux « Parisiens têtes de chiens ») : quel idiot.
Je ne suis plus relax.
À côté, la fille d’un des patients en fauteuil : « Papa arrête de fumer. Tu te fais soigner, déjà, ici, tu ne veux pas retourner à l’hôpital pour tes poumons ? » Papa parait avoir 3000 ans. Il est tellement blême, que même la fumée de sa cigarette s’efface, par respect, devant une telle pâleur.
Quelle idiote, laisse le se consumer tranquillement aujourd'hui, à son âge...
Je ne suis plus relax.
Dans le monde parallèle :
Inspirer profondément, expirer, expirer jusqu’au bout.
Une dame sur son fauteuil commence à bailler.
Elle ne s’arrête plus de bailler, le gaz endormitif fait son effet.
Et voilà que tout le monde - sauf moi - (nous sommes 6 dans la salles) commence à bailler.
La sieste c’est aussi se relaxer ?
Moi, j’ai envie de me relaxer ailleurs…
Sur terre :
Se relaxer ailleurs ? Mon oeil.
Voilà les contraintes de la maison pour les fêtes de fin d’année qui sont tombées.
Je ne suis plus relax.
Nos geôliers ont tranché. C’est désormais officiel.
"Vous avez le droit de dormir hors de votre cachot : une seule nuit. Soit entre le 24 et le 25 décembre, soit du 31 au 1er janvier.
Attention, les 24 et 31 n’étant pas féries, vous n’êtes pas libérables avant la fin des cours de kiné, c’est à dire après 16H30."
"Et vous devez revenir au bercail le 25 ou le 1er avant 17h. Après ? Vous serrez mis aux fers."
Et vous voulez être relax après ça ? Ça m’énerve. Fait Chier.
Bon, même si je ne crois plus au Père Noël, je vais lui écrire une lettre et lui demander mes cadeaux à quelques dodos (12) de Noël.
Je l'enverrai lundi, au cas où j'oubliais des cadeaux.
Cher Père Noël
J’ai été très gentil en 2024 puisque j’ai passé presque 3 mois à l’hôpital.
Je me suis fait opérer de la hanche et je garde le souvenir de l’anesthésie générale qui a été faite directement sur la table d’opération. Tu sais elle est froide, la table.
Et avec tous les tuyaux branchés dans ton corps, tu es en quelques sorte crucifié sur l’autel d’opération, non pas comme l’a été le petit dans sa crèche, que tu célèbres avec les enfants, et qui ne sait pas encore ce qu’il l’attend à l’âge de 33 ans.
En attendant, je suis tellement à la rue financièrement, un peu comme toi qui travaille vraiment un jour par an ?
Et le reste du temps : tu gagne ta vie comment ? Tu es intermittent ? T’es pas con toi.
J’ai aussi décidé aussi d’être relax et de ne plus dire du mal des autres, sauf pour me moquer.
Pour les cadeaux, je voudrais :
- Un chirurgien qui change ma hanche rapidement
- Une prothèse de hanche gauche prête à être posée, de couleur bleu marine
- Ecraser dans un pot mon infection "caca"
- Un peu de boulots (rédaction articles, newsletters, formation en visio, podcast : j'ai le matos)=> n'hésites pas à transmettre
- Une libération conditionnelle voire définitive d’ici
- Un gros réveil qui tourne à l’envers pour éviter de regarder le temps qui passe et avoir du temps pour moi. Mais comme je l’ai déjà expliqué, je suis souvent trop occupé à ne rien faire.
- Un appartement avec vue sur mer et personnel de maison (ça fait cliché, mais ça me plait)
- De l’argent (là, tu peux te lâcher)
Tu vois Père Noël, je ne suis pas gourmand.
Je voulais juste une pensée et des cadeaux le soir du 24 décembre depuis mon cachot.
En arrivant fait gaffe car il n’y a pas de cheminée ici, il faut passer par la porte mais pas sûr que le gardien de nuit t’ouvre. La fenêtre de ma chambre est aussi verrouillée, mais je crois que j’ai la combine. T’inquiète.
Textotte-moi quand tu débarques avec des rennes.
Je t'embrasse. (mais non, on embrasse le Père Noël. On dit quoi alors ?)
Dans le monde parallèle :
« Détendez-vous » FERME LA !
Je ne suis pas détendu, en même temps ça me ferait du bien vu ce qui se passe sur terre.
Mais ici : elles dorment toutes et sont relaxées, elles.
Moi je peux me brosser ?
Oui. Je suis trop cartésien m'a-t-on dit.
Quel con ce Descartes qui m’a empêché de me relaxer. À quoi ça tient, un type invente un truc, comme ça, et ça fait chier toute l’humanité depuis plusieurs siècles.
Finalement j’y retournerai à la réunion de relaxation, mais je m’interroge : dois-je y aller stressé ou relaxé ?
- Si je suis stressé, je risque de garder mon esprit cartésien et ça ne servira à rien
- Si je suis « relax » pourquoi aller dans une réunion de relaxation ?
Je ne sais pas vous, mais pour moi, ce type de décision me stresse.
Relax.
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